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"Souvenirs de septembre" - 2 -

Septembre 1968 et 69 : Ferrari ? Non merci…

Les clichés ont souvent la vie dure : la Suisse, avec ses montres, ses banques, son chocolat, ses vaches paissant sur les pâturages de montagnes dans un cadre bucolique. Dans son registre, l’Italie n’est pas mal non plus avec ses plages de l’Adriatique et de la Méditerranée, Venise, le Pape, le calcio et…Ferrari ! Depuis des décennies, le constructeur de Maranello fait figure de véritable institution. Un statut qui a largement dépassé les frontières de la Botte.

Ce monument vivant de l’automobile et du sport exerce toujours la même fascination auprès de tous les pilotes en herbe qui ne rêvent que d’une chose : rejoindre un jour la troupe de la célèbre Scuderia. Un rêve, une obsession que Jo Siffert a tout simplement snobé ! Le Fribourgeois s’est ainsi permis de dire non et non à ses managers de l’époque qui le pressaient de signer, de rouler pour eux, de porter l’emblème du cheval cabré sur sa combinaison. Les appels du pied, les contacts furent nombreux entre 1967 et 1969, au gré des situations du « marché » des pilotes qui prévalait. Ferrari traversait alors des moments de troubles, entrecoupés de périodes où le ciel bleu azur de l’Italie redonnait du tonus aux tifosis et surtout où les aléas de la compétition venait mettre son grain de sel.

Prenons pour exemple la saison 1967, fort prometteuse sur le papier pour la Scuderia qui avait plutôt bien assimilé le changement de règlementation ayant conduit les instances sportives à imposer des moteurs 3 litres atmosphériques plutôt qu’un litre et demi : avec son douze cylindres, Ferrari avait quelques cartouches dans son magasin. Las, le destin allait chambouler ces prévisions puisque la Scuderia perdait en quelques semaines Lorenzo Bandini, brûlé vif en mai à Monaco alors qu’il jouait la gagne face à la Brabham de Denny Hulme puis Mike Parkes victime d’un grave accident à Spa lors du GP de Belgique et forcé de mettre un terme à sa carrière en F1.

C’est à ce moment-là que Siffert qui galérait au sein du team de Rob Walker avec sa rétive Cooper Maserati allait être approché. Mais c’est aussi à cette période-là que la fameuse Lotus 49 apparaissait sur le marché (en juin au GP de Hollande). Une monoplace révolutionnaire, que ce soit son châssis monocoque-porteur ou son moteur Ford Cosworth V8, qui allait rapidement s’avérer imbattable ou pour le moins grande favorite du championnat. Recevant des garanties de son patron Rob Walker selon lesquelles il allait à moyen terme se porter acquéreur d’un tel châssis, Jo Siffert refusait poliment les avances de Maranello. Sa patience (et sa fidélité) furent récompensées puisque le week-end qui coïncida avec la livraison de sa Lotus 49B (en juillet 1968), il triomphait à Brands Hatch en battant les…Ferrari de Chris Amon et de Jacky Ickx.

Directeur sportif de la Scuderia, Franco Lini relançait les discussions la saison suivante en déployant des trésors d’arguments. Mais Ferrari connaissait alors une baisse de régime qui se traduisait – au contraire de Siffert et de ses résultats avec Rob Walker – par une descente aux enfers : 5ème seulement au classement des constructeurs, très loin du leader Matra et 7 points seulement de récoltés entre Chris Amon et Pedro Rodriguez ! Dans la balance, Jo Siffert en avait amassé plus du double avec sa mini structure anglaise grâce notamment à deux podiums (3ème à Monaco, 2ème à Zandvoort). Ce bilan lui donnait raison quant à sa posture vis-à-vis de Ferrari d’autant plus que dans les épreuves d’endurance, Porsche dont il était le leader chouchouté, continuait à damer le pion aux…Ferrari.

Après une séance d’essais à Modène censée lui faire prendre la température des Ferrari Dino de F2, les tentatives de rapprochement entre Siffert et Ferrari reprenaient de plus belles sur l’automne 1969, toujours sur l’impulsion de Franco Lini, l’homme de confiance et de liaison du Commendatore Enzo Ferrari. Siffert réfléchissait à propos de son possible départ (non pas en divorçant mais par consentement mutuel) de chez Rob Walker ; et tôt ou tard, il allait devoir forcément trancher. Ferrari revenait à la charge avec semble-t-il quelques solides atouts dans sa manche ; mais Siffert préféra alors opter pour la nouvelle usine March et son modèle 701 tout en demeurant fidèle à Porsche – qui continuait à empiler les chèques en blanc pour pouvoir absolument le garder à Stuttgart avec ses 917 nées quelques mois plus tôt – plutôt que de faire ses valises pour l’Italie.

Cinquante années plus tard, il est sans doute aisé de dire que cette décision fut une erreur. Certes, en endurance, Jo Siffert poursuivit sur sa dynamique de victoires face à Ferrari. Mais pour ce qui est de la F1, ce fut le naufrage absolu (zéro point de marqué durant tout le championnat avec sa March) alors que Ferrari, transfiguré par rapport à l’exercice précédent, vécut une saison euphorique, dès l’entame de l’été surtout, avec une cascade de résultats sensationnels (2ème en Allemagne puis vainqueur en Autriche, en Italie, au Canada et au Mexique grâce à Jacky Ickx et à un débutant nommé Clay Regazzoni). Le train était passé, Siffert n’allait plus pouvoir grimper à bord…

Ceci dit (de manière très condensée et résumée), durant sa carrière, le Fribourgeois se retrouva néanmoins à quelques reprises au volant de Ferrari. Mais toujours pour des organisations indépendantes/privées et des opérations ponctuelles. C’est ainsi que pour sa toute première apparition dans une épreuve d’endurance de calibre mondial (les 1000 Km du Nürburgring 1961), il conduisait une 500TR à plaques suisses (celle du Lausannois Robert Jenny) en compagnie de l’Allemand Sepp Liebl et se classa honorable 15ème.

En 1963, pour le compte de la Scuderia Filipinetti basée à Genève, il est aligné en solo dans les 500 Km de Spa et termine 3ème dans l’habitacle d’une 250 GTO !

L’année suivante va marquer le début de sa collaboration avec l’Anglais David Piper, fou de Ferrari et doté de moyens suffisamment confortables pour en acquérir quelques exemplaires. Ainsi, Siffert-Piper se présentent au départ du Tour de France automobile, un rendez-vous alors très prisé et de haut vol. Avec une 250 GTO, ils figurent dans le peloton de tête mais sont disqualifiés vers la mi-course pour une prise illégale de carburant.

L’association de ces deux hommes va se poursuivre en 1967 tant à Reims avec une 365P2/3 pour les 12 Heures (2ème derrière la Ford GT40 de Guy Ligier/Jo Schlesser) que pour les 1000 Kilomètres de Paris/Montlhéry (5ème avec une 412P cette fois). Du Ferrari, Jo Siffert en aura donc consommé mais très modérément et certainement pas comme on l’aurait souhaité du côté de Maranello…

A noter que David Piper vit sa carrière se briser en 1970 lors du tournage du film « Le Mans » lorsque durant une prise de vue, sa…Porsche 917 s’abîma contre les glissières du circuit sarthois. Le Britannique, alors âgé de 40 ans, dut être amputé d’une jambe.

L’Italie et d’autres de ses constructeurs feront encore appel à Siffert pour des piges isolées : c’est ainsi que pour ses débuts aux 24 Heures du Mans (1965), Maserati lui confia au pied levé sa Tipo 65 – en remplacement de l’Américain Lucky Casner, tué lors des essais préliminaires quelques semaines auparavant – avec un abandon prématuré à la clé ; et que la petite entité de Bologne des frères Pederzani allait l’appeler pour disputer en décembre 1968 en Argentine la Temporada F2 avec l’une de ses Tecno (7ème du classement final, au terme des quatre courses au programme).

Pour en revenir à Maserati, il n’est pas inutile de rappeler que durant ses saisons de GP 1966 et 67, sa Cooper était équipée d’un 12 cylindres provenant de l’usine transalpine ; mais avec pour bilan un lot de contreperformances quasi ininterrompues dues à sa fragilité et à son embonpoint.

Dernier flirt avec l’Italie, en été 1971, planifié cette fois sur du court terme avec Alfa Romeo. Porsche ayant décidé de s’accorder une pause en endurance compte tenu de changements intervenus dans les règlements, Siffert se voyait ainsi momentanément libéré et choisissait la firme aux trèfles à quatre ; fin octobre, il devait finaliser les détails de son contrat avec une organisation qui allait devenir l’une des plus compétitives du plateau de l’endurance durant plusieurs exercices. Avec des pilotes de la trempe de Pescarolo, De Adamich, Courage, Bell, Marko, Elford, Regazzoni, Stommelen, Laffite et autres Merzario. Mais entretemps, Brands Hatch et le 24 octobre étaient passés par là. Avec leur funeste conséquence.