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"Souvenirs de septembre" - 1 -

Monza, le 5 septembre 1971 : satanée boîte de vitesses…

Monza ! Un nom qui évoque tout naturellement le sport automobile. Même pour les ignares en la matière. Construit en 1922 (il sera donc centenaire l’an prochain) au milieu d’un parc richement arborisé de cette ville située aux portes de Milan, le circuit lombard est un véritable temple de la vitesse. Un chiffre en forme de record l’atteste : en course – c’était lors du GP d’Italie 2005, au volant de sa McLaren/Mercedes – le Finlandais Kimi Räikkönen fut flashé à 370,1 km/h. Pour mémoire aussi, il faut se souvenir que deux meetings réservés aux bolides normalement engagés aux 500 Miles sur l’ultra rapide ovale d’Indianapolis eurent lieu en 1957 et 58. C’est un (autre) signe…

Monza vu dans le rétro, c’est un enchevêtrement d’exploits gravés dans la légende et de drames. Pour ne parler que de l’après-guerre, il fut le théâtre de formidables empoignades, la plus excitante étant sans doute celle qui vit le succès de Peter Gethin (BRM) lors du GP d’Italie de 1971 au terme d’un sprint délirant ayant réuni au baisser du drapeau à damiers cinq monoplaces en moins d’une seconde !

Au rayon des moments forts ayant concerné la Suisse, il faut bien sûr mettre d’abord en exergue les deux succès en GP signés par Clay Regazzoni sur sa Ferrari 312B en 1970 et 312T en 1975 ainsi que sa victoire (la seule de sa carrière dans le cadre du « mondial » d’endurance) lors des 1000 Km de Monza 1972 disputés sous un déluge continu, avec Jacky Ickx pour coéquipier et la 312P comme cavalerie.

Autre star suisse victorieuse à Monza en endurance : Marc Surer. C’était lors de l’édition de 1985 des 1000 Kilomètres et le Bâlois l’emporta au volant d’une Kremer-Porsche 962 (avec l’Allemand Manfred Winkelhock) au terme d’une course abrégée (seulement 138 des 173 tours prévus alors furent parcourus) à la suite de la chute d’un…arbre sur la piste dans les enchaînements de Lesmo consécutive à de puissantes rafales de vent. Ajoutons que quelques semaines plus tard, Surer signa – toujours à Monza – l’un de ses deux meilleurs résultats en F1 en terminant avec sa Brabham-BMW turbo 4ème du GP d’Italie derrière Alain Prost, Nelson Piquet et Ayrton Senna !

Quant à Peter Sauber, dans la foulée du titre mondial 1989 décroché par ses Sauber-Mercedes C9, il réalisa le doublé l’année suivante à Monza (sur une distance de…480 kilomètres) avec son modèle C11 et les équipages Baldi-Schlesser et Mass-Wendlinger.

Ultimes précisions : en avril 2007, c’est la toute première fois que le nom du « Speedy Racing Team » avec une Spyker C8 pour monture figurait sur la liste de départ d’une épreuve d’endurance officielle (avec Belicchi-Kane-Chiesa, classés 20ème au final). Un engagement qui marquait les débuts d’une longue et brillante histoire dans la discipline, celle de l’organisation vaudoise Rebellion et de son propriétaire Alexandre Pesci !

Et c’est à Monza, en septembre 1956 que le Fribourgeois Toulo de Graffenried mit fin à sa riche carrière de pilote de F1 en se classant 7ème du GP d’Italie au volant de sa Maserati 250F. Voilà pour quelques rappels suisses significatifs en lien avec cette piste mythique !

Parmi les drames (qui touchèrent aussi les spectateurs avec la tragédie du GP 1961 et ses 15 victimes dans le public), on rappellera qu’Alberto Ascari, Wolfgang von Trips, Jochen Rindt et Ronnie Peterson y perdirent la vie, sans oublier les motards Jarno Saarinen et Renzo Pasolini. Notre pays y paya aussi un lourd tribut avec les accidents mortels de Tommy Spychiger (1965) et Silvio Moser (1974) à l’occasion de l’épreuve des 1000 Kilomètres.

Chaque début septembre, Jo Siffert se sentait à l’aise sur ce tracé. Mais curieusement, malgré neuf participations au GP d’Italie (entre 1963 et 71), il ne parvint pas à y comptabiliser le moindre point (sous-entendu à se classer parmi les six premiers). Et ce n’est pas faute d’avoir tout tenté...

En 1964, pour ce qui restera comme étant sa dernière apparition sur une grille de F1 en tant qu’indépendant (à la veille de la tournée outre-Atlantique, il sera en effet enrôlé dans les jours suivants par le team de Rob Walker), le Fribourgeois s’était brillamment qualifié 6ème (sur 25 concurrents) ; mais il allait échouer aux portes des points (7ème) au volant de sa Brabham BT11-BRM.

Dès 1968 et ce jusqu’à sa disparition en octobre 1971, Jo Siffert se hissa à chaque fois parmi les favoris du GP d’Italie. Certes, en 1970, après des qualifications prometteuses (7ème), il connut rapidement les affres de l’abandon (moteur) au volant de sa March 701.

Retour à 1968, quelques semaines après son triomphe dans le GP d’Angleterre : il va rouler au sein du groupe de tête (composé des McLaren de Bruce McLaren et de Dennis Hulme et de la Matra de Jackie Stewart) jusqu’au 48ème des 58 tours, se portant même à deux reprises au commandement avant que la suspension arrière gauche de sa Lotus 49B ne s’affaisse, le contraignant au retrait.

Même scénario ou presque douze mois plus tard : Siffert (toujours sur sa Lotus du team Walker) se maintient un bon moment au sein du peloton de tête qui mène grand train en se doublant et se redoublant sans cesse. Cette fois, ce sera un ennui de piston (en affectant le rendement de son Cosworth V8) qui va l’obliger à lâcher prises peu avant la mi-course. Le mal allant en s’empirant, il ne finira pas ; mais sera néanmoins classé 8ème.

C’est en 1971 sans doute que notre compatriote va laisser échapper ses meilleures chances de victoire : sur la lancée de son triomphe en Autriche, avec sa BRM P160 dont le moteur 12 cylindres peut s’exprimer à plein régime, il domine les débats, se détachant apparemment irrésistiblement (dès le 28ème des 55 tours). Le long du circuit développant 5750 mètres, les drapeaux rouges à croix blanche s’agitent frénétiquement. Mais c’était trop beau pour que cela dure : la boîte de vitesses de son bolide (bloquée sur le 4ème rapport) va rapidement perturber ses plans, Siffert se classant en définitive à un rang (9ème) qui ne correspond pas à ses légitime aspirations. Preuve de la compétitivité (et du potentiel) de sa machine ce jour-là : c’est une autre Yardley-BRM P160, celle de l’Anglais Peter Gethin, qui l’emporte à la moyenne de 242,615 km/h. !  

Au bas mot, pas loin de 30'000 Suisses (difficile, évidemment, d’en évaluer le nombre exact) avaient alors fait le déplacement de Monza pour soutenir non seulement Siffert mais également Clay Regazzoni, vainqueur l’année précédente sur sa Ferrari. C’est ainsi que durant les trois premiers tours de ce GP 1971, nos deux lascars eurent la lumineuse idée de se pavaner de front en tête de la course ! La ferveur débordante pour les sports mécaniques qui s’était emparée des Confédérés au début des années 1970 avait de bonnes raisons de s’exprimer…

Heureusement pour Siffert et ses visites à Monza, il y aura les rendez-vous proposés par l’endurance et ses 1000 Kilomètres qui lui apporteront nombre de lots de consolation : 5ème en 1966 (avec une Porsche Carrera 6 privée partagée avec Charles Vögele), 5ème en 1967 avec une 910 d’usine (Hans Herrmann) et 2ème en 1971 avec une 917 Gulf (Derek Bell). Mais c’est surtout en 1969 que la roue tourne carrément à son avantage.

Nous sommes le vendredi 25 avril, jour férié outre-Simplon. Siffert a fort affaire pour se débarrasser des Ferrari 312P, transcendées devant des tifosis chauds bouillant. De la meute des trois autres Porsche 908 engagées par l’usine de Stuttgart pour leur donner la réplique, il est en effet le seul à pouvoir faire barrage à Mario Andretti, à Pedro Rodriguez, à Chris Amon et à Peter Schetty ; et va finalement les écœurer en usant jusqu’à la toile (c’est le cas de le dire) les mécaniques italiennes dont les pneus supporteront mal les traitements infligés, notamment sur le banking. Pour Siffert et son coéquipier britannique Brian Redman, c’est un triomphe ; qui contribuera à ce que Porsche leur employeur décroche le titre mondial des constructeurs à l’issue de la saison. Détail : c’est la toute dernière fois que les sport-prototypes avaient l’occasion d’emprunter le fameux et redoutable anneau de vitesse, la F1 l’ayant déjà répudié au milieu (!) des essais qualificatifs de l’édition 1963 et ce pour des raisons de sécurité.

Ultime remarque en lien avec Monza et Siffert : en automne 1967, grâce à une opération montée par le pétrolier BP et par l’usine Porsche (avec un modèle 906 puis 911R) et avec l’aide de ses compatriotes Dieter Spoerry, Charles Vögele et Rico Steinemann, il accumule les records du monde d’endurance (96 heures sans discontinu à fond de train) et de vitesse, bien sûr, Monza étant définitivement fait pour ça…