Retour

"Souvenirs d'août" - 2 -

GP d’Autriche, Zeltweg, le 15 août 1971 : la totale…

Replaçons d’abord les choses dans leur contexte de l’époque, c’est important. Depuis l’arrivée du Ford Cosworth V8 en GP (en juin 1967), ce sont des monoplaces propulsées par ce moteur qui conservent le monopole des victoires en F1 (33 sur un total de 45 mises en jeu) et des titres mondiaux (3 sur 4). En 1970 pourtant, Ferrari avec son redoutable douze cylindres et grâce au Belge Jacky Ickx et au Tessinois Clay Regazzoni, a malmené cette hégémonie ; mais c’est bel et bien l’Autrichien Jochen Rindt et sa Lotus-Cosworth V8 qui, au final (et à titre posthume), se sont hissés au sommet de la hiérarchie.

Fort de ce constat, la saison 1971 s’annonce donc indécise. Mais il n’en sera rien : au soir du GP d’Allemagne, au début août déjà, Jackie Stewart a pratiquement le maillot arc-en-ciel vissé sur ses épaules grâce à sa Tyrrell et à son moteur…Ford-Cosworth. Certes, Ferrari a gagné en Afrique du Sud (avec Mario Andretti) et en Hollande (sous la pluie, avec Ickx) et les BRM de Pedro Rodriguez et de Jo Siffert ont bien tenté quelque chose quand leurs 12 cylindres pouvaient mieux s’exprimer ; mais ce ne furent que des coups isolés (4ème en Espagne et 2ème en Hollande pour Rodriguez, 4ème en France pour Siffert).

Pire : à la mi-juillet, BRM va perdre le Mexicain, mortellement blessé dans un accident (au volant d’une Ferrari 512) dans une épreuve de l’Intersérie organisée à Nüremberg. De facto, Jo Siffert en devient l’unique leader et c’est dans ce contexte qu’à la mi-août, il se présente au départ du GP d’Autriche programmé sur le rapide circuit de l’Oesterreichring à Zeltweg.

Avec son nouveau rôle de porte-drapeau du team britannique, le Fribourgeois a pris une dimension supérieure et va se montrer à la hauteur des responsabilités qui désormais lui incombent. En fait, il va s’avérer irrésistible tout au long du week-end. Il faut préciser que son équipe avait enfin mis le doigt sur un problème technique ayant gâché une partie de son entame de saison : la fixation de la bobine d’allumage sur l’arceau de sécurité qui entraînait, compte tenu des vibrations du moteur, des disfonctionnements d’ordre électrique majeurs et ce à plusieurs reprises, notamment en Allemagne et en Angleterre quelques semaines plus tôt alors que Siffert visait à chaque fois et à la régulière une place sur le podium.

Et c’est alors le rendez-vous de l’Autriche qui pointe à l’horizon. En jargon sportif, on appelle cela le grand chelem ; Siffert va le signer : pole-position, victoire en menant de bout en bout en écœurant tous ses adversaires et record du tour à la clé à une moyenne de 218 km/h ! Pourtant, tout ne fut pas aussi simple et limpide. Surtout durant la seconde partie du GP. Requinquée, sa BRM avait d’emblée dicté le tempo malgré les menaces concertées de Stewart, Cevert, Ickx, Regazzoni et Fittipaldi mais qui, l’un après l’autre, allaient perdre pied ; peu après la mi-course, c’est en effet une alerte qui sonnait dans le camp anglais : une crevaison lente à l’arrière gauche du bolide du leader était décelée. Avec ses rapides courbes malmenant les appuis à gauche précisément, il était à craindre que Siffert éprouve mille difficultés à défendre son sceptre face à la Lotus du Brésilien Emerson Fittipaldi qui revenait du diable vauvert. L’écart entre les deux hommes qui avait grimpé jusqu’à 28 secondes (un confortable matelas, vous en conviendrez) au 42ème des 54 tours fondait au fil des tours ; mais sous le drapeau à damiers, la BRM blanche aux couleurs Yardley parvenait à se ménager un avantage de 4,12 secondes.

Dans le camp suisse, c’était l’explosion de joie. En forme de délivrance : après de nombreuses vicissitudes dues le plus souvent – comme durant la saison 1970 au sein de l’écurie March – à des soucis d’ordre mécanique et à la malchance, Jo Siffert, persévérant, toujours combattif et pour une fois aidé (un peu) par la baraka, revenait dans le jeu ; bref retrouvait un rôle qui correspondait mieux à son talent et à son grade. Ce formidable résultat de Zeltweg allait d’ailleurs contribuer à l’installer quelques semaines plus tard à la 4ème place finale au championnat du monde des conducteurs.

Zeltweg, c’était donc le dimanche 15 août 1971. Un 15 août ? Comme en 1965 quand Siffert battit Jim Clark pour la seconde fois consécutive lors du GP de la Méditerranée en Sicile. Comme en 1968 quand le Fribourgeois s’imposa au volant d’une Porsche 910 dans la « Coppa della Cita di Enna » sur ce même circuit de Pergusa. Jour déclaré férié dans les régions à obédience catholique (fête de l’Assomption), le 15 août avait apparemment décidé de lui porter chance…