Conférence de Heini Mader au Swiss Viper Museum : des souvenirs plein la tête
Vendredi 24 octobre 2025 dans les locaux du Swiss Viper Museum à Givisiez, récemment honoré par les Etats-Unis qui ont décerné le titre de plus grand musée Viper au monde à son propriétaire Edwin Stucky, Heini Mader a tenu en haleine son public, interviewé par Jean-Marie Wyder qui a ciblé ses questions. Pour obtenir la narration de souvenirs incroyables de vérité de l’époque Jo Siffert, puis aussi brièvement des années qui ont suivi avec les activités de préparateur de moteurs performants.
A 89 ans, les souvenirs de Heini restent intacts lorsqu’il évoque Jo Siffert pour lequel il avait un profond respect. Seppi déployait des qualités humaines indéniables envers les personnes qui l’aidaient avec toute leur énergie pendant les premières années de vaches maigres et de lutte permanente pour trouver le minimum d’argent nécessaire pour courir.
Au début des année 60, Heini travaillait comme mécanicien chez Heinz Schiller agent Porsche à Genève. L’ambiance n’était pas la meilleure. A Pau en 1962, Heini rencontre Jo Siffert et son mécano Michel Piller qui tentent de monter une Lotus livrée en pièces détachées (!). Les Anglais procèdent alors de la sorte pour contourner les taxes douanières…
1962
Impossible de reconstituer une Lotus 24 fonctionnelle en si peu de temps ! Cependant le courant passe entre Seppi et Heini qui acceptera de rejoindre Jo et de quitter son emploi genevois. Mader avait révisé une boite de vitesses chez Schiller pour le compte de Georges Filipinetti. Aussi, lorsque Seppi intégra la Scuderia Filipinetti sise à Grandson, Heini pensa qu’il avait fait un bon choix en travaillant pour le jeune pilote suisse en compagnie de Jean-Pierre Oberson.
1963
En pratique, Jo Siffert n’avait pas une totale liberté de manœuvre au sein de la Scuderia et des tensions croissantes aboutirent finalement au divorce entre Siffert et Filipinetti au printemps 63, bien que le contrat portait jusqu’en 1965. Le Siffert Racing Team était né avec au total quatre personnes. Paul Blancpain qui gérait l’administratif, Jean-Pierre Oberson et Heini Mader les deux mécanos et Seppi pour piloter efficacement du matériel pas toujours de première main et un beau camion capable de transporter 2 autos et le matériel.
Heini raconte que lorsqu’ils avaient récupéré la Lotus 24 en Grande-Bretagne en mars 1963, il fut rapidement constaté que le moteur BRM avait besoin d’une remise en forme à l’usine BRM. Mais impossible de faire entrer un châssis Lotus équipé pourtant d’un moteur BRM dans leur atelier, crime de lèse-majesté ! La solution ? Démonter le propulseur à l’extérieur et franchir la porte des ateliers avec le moteur seul !
Mader travailla d’arrache-pied pour réviser et améliorer au mieux le V8 durant quatre semaines intenses. Vilebrequin, volant moteur et embrayage sont notamment équilibrés statiquement et de manière dynamique pour garantir une certaine fiabilité, si importante. Arrive le moment où la mécanique a repris sa place et que l’auto est testée à Snetterton en vue du Lombank Trophy (hors championnat du monde). Les cinq premiers tours d’essais se passent bien, mais au sixième, la Lotus ne réapparait pas. Les mécanos partent à sa recherche et trouvent une auto plantée jusqu’aux pipes d’admission dans un champ voisin fraichement labouré !!!
Heini craint le pire et encaisse difficilement le spectacle, après avoir tant « bossé » sur ce sacré moteur. L’auto est sortie de son pétrin à la pelle, avec difficulté. Commence alors un long et fastidieux nettoyage, les appareils de lavage à haute pression n’étaient pas encore sur le marché. Mader s’interroge sur la pertinence de son changement d’employeur…
Le châssis est tordu, il doit être redressé et ressoudé avec soin ; mais au moins le moteur n’a pas trop souffert de cette sortie de piste. Les suspensions remontées, l’auto est à nouveau opérationnelle pour courir une semaine plus tard à Imola. Seppi terminera deuxième derrière Jim Clark. Et quatre jours plus tard (toujours hors-championnat du monde), il s’imposera sur le circuit de Syracuse (Sicile) avec sa Lotus 24 BRM. Le 30 juin 1963 Jo Siffert termine 6ème à Reims du GP de France (ACF) et marque 1 point ! Son premier dans le cadre du championnat du monde. Il faut rappeler, comme le dit sobrement Heini, que ce team de très petite taille fait des miracles parmi les écuries des usines, avec bien des sacrifices et des repas très frugaux. Lors des voyages à travers l’Europe, du temps du break Chevrolet et de la remorque tractant la monoplace, les vergers traversés fournissaient d’excellents fruits qui amélioraient les récurrents spaghettis ! Ils dormaient dans la voiture ou à côté. Jean-Pierre Oberson qui craignait les animaux nocturnes dressant même son lit sur la galerie du break ! Le peu d’argent des primes de départ et si possible de classement ne permettaient que de payer le carburant et des rares pièces détachées. Un train de pneus durait quatre courses, essais compris !
Lors du voyage en Amérique pour disputer le GP à Watkins Glen le 6 octobre et ensuite à Mexico le 27 octobre, les organisateurs ne prenaient en charge que le déplacement des autos et des équipages en avion. Habile commerçant, une qualité de Seppi relevée par Heini, Siffert négocia en espèces le prix des billets d’avion entre les deux circuits pour le team. Après l’abandon sur ennuis de boîte de vitesses à Watkins Glen, l’auto partit pour le Mexique transportée par camion par les organisateurs. Avec cette petite manne, Jo acheta une Pontiac fatiguée pour faire les 11'600 Km en auto jusqu’à Mexico, les deux courses se disputant à trois semaines d’intervalle.
Le voyage, comme le décrit pudiquement Heini, fut laborieux et émaillé d’épisodes plus ou moins cocasses. Le budget repas était limité aux Korn-Flakes et au lait en bouteille. Une seule fois, à Laredo, les quatre mousquetaires commandèrent des steaks qui leur furent servis dans l’assiette pris directement dans la poêle à la main par la cuisinière !
Souvent des erreurs de navigation allongèrent le périple. L’auto achetée était chaussée de pneus usés dont deux furent détruits au contact d’une bordure de trottoir, le chauffeur du moment s’étant endormi, comme ses camarades d’ailleurs. Avec une seule roue de secours, il fallut improviser pour pallier à ces deux crevaisons. Et au terme du voyage, les pneus étaient plus proches des slicks, la toile apparaissant même par endroits. Les voitures de course arrivèrent à Mexico deux jours avant le GP, comme les valeureux voyageurs helvétiques d’ailleurs. La course se solda par un 9ème rang, malheureusement sans aucun point supplémentaire au compteur. Mais cet épisode américain resta dans les mémoires des protagonistes comme une aventure humaine inoubliable. Un miracle avec trois sous et des bouts de ficelle…
Fin 1963, le Siffert Racing Team fut déclaré meilleure équipe indépendante du paddock de F1 ! Une belle reconnaissance par rapport aux sacrifices consentis par la « bande à Seppi ».
1964
L’année 1964 annonce un changement de marque avec une Brabham car la Lotus est vieillissante et plusieurs fois accidentée. Rico Steinemann est devenu importateur Brabham en Suisse et comme la nouvelle Lotus 25 se fait attendre, Siffert choisit une Brabham. Mais elle non plus n’est pas disponible de suite et à Syracuse début avril, Seppi remet en piste la vieille Lotus 24. Hélas aux essais, il en perd le contrôle et l’auto escalade des bottes de paille. Bilan : contusions multiples et clavicule fissurée, repos forcé à l’hôpital. Evadé de l’établissement avec l’aide de Jean-Pierre Oberson (!), Siffert rentre à Fribourg et entame une rééducation express pour courir le plus rapidement possible le 2 mai à Silverstone en serrant les dents. Chez Brabham, on lui assure que sa nouvelle BT11 sera opérationnelle à Monaco le week-end suivant, pour le lancement officiel du Championnat du Monde de F1. Mais ces promesses ne sont pas tenues et c’est toujours avec l’antique Lotus que Seppi se classe au 8ème rang en Principauté. Dès la fin de la course, Mader et Oberson rejoignent l’usine Brabham afin d’entreprendre le montage d’une auto encore très embryonnaire. Pas complètement terminée, les mécanos filent directement avec aux Pays-Bas pour le prochain GP espérant livrer une voiture à leur pilote émérite. Assemblée à l’arrache, elle est qualifiée de justesse et termine au 13ème rang à 25 tours du vainqueur Jim Clark…
Comme le nouveau team a un budget serré, les révisions sont limitées et pas toujours suffisantes comme le rappelle Heini. Il est arrivé qu’un roulement de boîte doive durer encore, mais hélas casser à l’épreuve suivante. Consciencieux, Mader n’est pas toujours content du travail réalisé avec trop peu de moyens et souvent dans l’urgence. La fiabilité exige des révisions régulières. Mais malgré tout, le team fait des étincelles !
1965
1965 coïncide avec l’implication, sur l’automne, du Britannique Rob Walker qui apporte un budget enfin plus serein pour entretenir les mécaniques très sollicitées. Seppi demandait toujours le maximum en course pour terminer à la meilleure place possible, pas question de donner dans la demi-mesure. Il respectait ses collaborateurs, était juste et franc, mais une fois sur la piste, il donnait tout pour faire un résultat !
Walker avait précédemment remarqué Siffert lorsqu’il avait terminé 2ème derrière Jim Clark à Imola puis lors de sa victoire à Syracuse au printemps 1963. Mader et Oberson vivent dès lors dans de meilleures conditions, en dormant à l’hôtel et en mangeant de manière plus équilibrée.
L’accident de Goodwood immobilise à nouveau Seppi qui court cependant le 30 mai à Monaco engoncé dans un corset, mais décidé à s’aligner quel qu’en soit le prix. En souffrant le martyre, il se classe à une remarquable 6ème place.
En août à Enna, Siffert remporte le GP de la Méditerranée (hors championnat) devant Jim Clark, une victoire importante pour Rob Walker. Une fois de plus les mécanos Mader et Oberson ont efficacement travaillé en coulisses.
L’année 1966 et ses bouleversements
Pour la suite de sa carrière, Heini Mader a été très bref, la conférence du 24 octobre 2025 initiée par l’Association Jo Siffert portant essentiellement sur sa collaboration avec le champion fribourgeois.
La saison 1966 s’ouvre avec de nouveaux règlements (cylindrée de 3000 cm3 et poids minimal de 500 Kg) ce qui contraint Rob Walker à acquérir une seule nouvelle voiture (une Cooper Maserati) et à se séparer de Mader et Oberson. Jo Bonnier remercié par Walker fonde son propre team et engage les deux anciens et fidèles mécanos de Siffert. L’auto du team Walker sera entretenue en Angleterre dans les ateliers de Walker. La destinée d’Heini Mader prend un nouveau chemin avec Jo Bonnier établi à Gland. Il travaillera pendant plusieurs années avec le Suédois jusqu’à sa tragique disparition au Mans en 1972. Courant 1973, Heini Mader reprend l’entreprise et deviendra un préparateur de moteurs réputés dans le monde entier.
Motoriste en Formule Renault et en Formule Ford, puis en F3 avec Sauber (Beat Blatter, Max Welti), en F1 (Benetton, Ligier, Megatron), F2 (AGS), F3000, en endurance (notamment avec Peter Sauber et ses flèches d’argent), la liste des succès serait longue, trop longue à énumérer ici.
Par exemple, en 1976 au Mans, les Romands François Trisconi, Georges Morand et André Chevalley gagnent la catégorie des 2 litres (l’équivalent des LMP2 aujourd’hui) avec leur Lola T292 à moteur Ford Cosworth préparé aux petits oignons par Mader.
Consécration suprême dans le domaine de l’endurance en 1980 quand la Rondeau de son constructeur Jean Rondeau, accompagné par Jean-Pierre Jaussaud, triomphe au « général » (face à Porsche notamment) à l’issue des 24 Heures du Mans avec un moteur Cosworth 3 litres bichonné par l’équipe d’Heini Mader !
Idem mais cette fois au niveau de la F1, en octobre 1986, lorsque Gerhard Berger gagne avec sa Benetton le GP du Mexique avec un moteur BMW turbo ayant été affûté dans les ateliers de Gland !
Deux années plus tard, au GP du Portugal à Estoril, 50% des voitures présentes sur la grille disposaient d’un moteur préparé à Gland !
Retiré officiellement des affaires en 2003 mais détenteur d’un stock de pièces de rechange de moteurs Cosworth unique sur le Continent, Heini Mader va néanmoins continuer à mettre ses connaissances et son expérience au service de bon nombre de clients utilisant des véhicules historiques – en prévision d’événements de type revival – et en s’impliquant même dans la préparation de la mécanique ayant permis à l’Italien Christian Merli de fêter son titre de champion d’Europe de la montagne édition 2025 !!!
Un grand monsieur, on vous le disait en préambule…