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"Souvenirs d'août" - 1 -

Enna-Pergusa, le 15 août 1965 : rebelote en Sicile…

Dans les années 1960, la F1 et le titre mondial qui consacre son meilleur acteur se jouent sur un total de neuf à dix GP (seulement…) par saison dont les rendez-vous incontournables de Silverstone ou Brands Hatch pour l’Angleterre, de Monza pour l’Italie, de Zandvoort pour la Hollande, du Nürburgring pour l’Allemagne, de Spa pour la Belgique et évidemment de Monaco.

Mais en dehors de ce périple « officiel », plusieurs autres GP de F1 ont lieu sur le continent européen. C’est ainsi qu’en 1965, on en dénombre une demi-douzaine dont deux en Sicile, à Syracuse et à Enna-Pergusa. Jo Siffert aime à s’y rendre. D’ailleurs, en 1963, n’a-t-il pas remporté l’épreuve de Syracuse. C’était son premier succès en F1 !

A la mi-été 1964, il rejoint donc Enna, toujours avec sa propre structure de pilote indépendant et sa Brabham BT11 à moteur BRM 1,5 litres comme monoplace. Le tracé emprunté long de 4807 mètres a été dessiné autour d’un lac et les vitesses atteintes y sont très élevées. Quant à la chaleur, elle est suffocante dans cet endroit ressemblant à une cuvette plantée au beau milieu d’une zone aride. Seize concurrents y sont inscrits dont les Lotus usine de Jim Clark et de Mike Spence et celles du Reg Parnell Racing de Chris Amon et de Mike Hailwood. On retrouve également Peter Revson, Innes Ireland, Paul Hawkins ainsi que le jeune Valaisan Jean-Claude Rudaz (Cooper) auteur d’un prometteur 10ème chrono en qualifications mais contraint au forfait, le moteur Climax de son bolide ayant rendu l’âme au terme des essais officiels.

En dépit de ce plateau relevé, Siffert va se comporter en véritable patron de la meute : en préambule déjà, il signe la pole-position devant Trevor Taylor et Jim Clark.

La course ? Elle sera animée comme jamais, les hommes de tête (Siffert, Clark, Ireland) se doublant et redoublant à qui mieux mieux, à plus de 220 km/h de moyenne. Finalement, c’est le Fribourgeois qui s’impose en rappelant que Jim Clark, battu pour 0,1 seconde, est alors considéré comme le Schumacher ou l’Hamilton de la F1 de la décennie 1960 !

Une année plus tard (le dimanche 15 août 1965 très exactement), on prend les mêmes – ou presque – et on recommence. Jim Clark et Joseph Siffert s’apprécient ; malgré leur notoriété, ils ont les pieds sur terre, l’Ecossais baignant dans une atmosphère campagnarde avec l’exploitation d’un élevage de moutons (quand ses engagements en compétition le lui permettent). Quant à Siffert, il sort d’un milieu très modeste avec une adolescence où la débrouillardise pour survivre fut sa règle de conduite. Bref, les deux garçons n’ont pas besoin de bavarder des heures durant pour « se situer » et se respecter.

Ils se retrouvent donc tout en haut de l’affiche de ce GP de la Méditerranée, Clark qui, au passage, vient de ceindre – bien avant l’heure, tellement sa domination fut écrasante – sa deuxième couronne de champion du monde des conducteurs alors que Siffert a changé de statut : d’indépendant, il est devenu membre à part entière du team anglais de Rob Walker. Quant à sa machine, il s’agit de la même Brabham-BRM.

Cette fois, ce n’est pas Siffert qui réalise la pole-position mais bien le récent couronné, notre compatriote ne signant « que » le troisième temps. Le déroulement de la course sera un copié-collé de 1964 avec, dans ce festival « pieds au plancher » et en mode « aspiration », un troisième larron nommé Mike Spence. Le trio va l’animer sans retenue mais Siffert, en fin renard qu’il est, ne ménageant pas son moteur bichonné par son mécanicien-motoriste Heini Mader (sans oublier Jean-Pierre Oberson qui gère plutôt la partie châssis) parvient à résister jusqu’au bout du suspense après un sprint effréné mené à 224 km/h de moyenne : Jim Clark est à nouveau battu, cette fois avec un écart de 0,3 seconde. Complètement bluffant. Et déroutant pour tous ceux qui suivent de près la F1.

Quelques jours plus tard, Siffert et Clark seront en lice au Rangiers. Le Fribourgeois pour y signer la première de ses quatre victoires consécutives dans le Jura, l’Ecossais pour une démonstration au volant de sa Lotus 38 victorieuse aux…500 Miles d’Indianapolis quelques semaines plus tôt. Et pour tisser de nouveaux liens d’amitié au-delà de toute velléité sportive.