"Souvenirs de juillet" - 2 -

Brands Hatch, le 20 juillet 1968 : bienvenue dans l’Histoire…

Dans son déroulement à travers le monde, l’année 1968 restera comme celle ayant été le théâtre des assassinats de Bob Kennedy et de Martin Luther King aux Etats-Unis, des émeutes en France, de l’invasion des chars soviétiques à Prague et de l’embrasement de la guerre au Vietnam. Pour ne citer que ces événements.

Pour la Suisse sportive, 1968 va être marquée par un exploit majeur. Et c’est Jo Siffert qui va en être l’auteur. En devenant le premier Helvète à s’imposer dans une manche du championnat du monde des conducteurs (F1).

Nous sommes le samedi 20 juillet. C’est le circuit de Brands Hatch dans le Kent (au sud de Londres) qui accueille cette année-là le GP d’Angleterre. Une fois à Brands Hatch, une fois à Silverstone : c’est en effet l’alternance, ce mode de faire, qu’ont adopté les organisateurs britanniques.

Cela fait quelques mois que Siffert guette la livraison de son bolide, une Lotus 49B à moteur Ford-Cosworth V8 commandée durant l’hiver par son patron Rob Walker. Cette monoplace, apparue en course en juin 1967, s’est en effet immédiatement avérée comme étant la combinaison idéale en F1. Avec des solutions avant-gardistes tant au niveau de son châssis que de son moteur (qui fera référence en la matière durant de très nombreuses saisons). A son volant, Jim Clark et Graham Hill, les deux pilotes de l’usine Lotus, ont aligné les succès (Hill sera sacré champion du monde à la fin 1968) même si cette belle série va être assombrie par la tragique disparition de l’Ecossais en avril lors d’une épreuve de F2 disputée à Hockenheim.

Avant de pouvoir toucher son exemplaire, Jo Siffert a eu la possibilité de jauger (partiellement seulement) les avantages de ce bolide en disputant le début de l’exercice au volant de l’ancienne voiture de Jim Clark ; mais c’est la dernière évolution de la Lotus 49 qu’il attend avec impatience, tel un enfant devant l’arbre de Noël !

Après passablement de péripéties, c’est un châssis tout neuf (muni d’un aileron haut perché) qui lui est enfin attribué le jour même des premiers essais du GP d’Angleterre. Avec encore passablement de mises au point et d’ajustements à effectuer et auxquels le Fribourgeois se plie volontiers : depuis le temps qu’il rêvait d’une machine de GP capable de le hisser parmi les vainqueurs potentiels, ce n’est pas maintenant qu’il va faire la fine bouche.

Au bout des qualifications, le voilà avec son bolide de couleur bleu nuit crédité du 4^ème chrono derrière les Lotus usine de Graham Hill et de Jackie Oliver (qui a hérité du baquet du malheureux Clark) et la Ferrari de Chris Amon. C’est prometteur.

Après un début de course marqué par la domination des protégés de Colin Chapman mais avec déjà un Siffert en embuscade, ce dernier va profiter de leurs ennuis (mécaniques) pour se porter au commandement avec une sangsue nommée Chris Amon à ses basques. Leur duel va durer une bonne heure avec Siffert repoussant systématiquement les attaques du Néo-Zélandais, lui-même poursuivi, à bonne distance cependant, par la seconde Ferrari du jeune Belge Jacky Ickx qui vient de s’adjuger la victoire dans le GP de France à Rouen.

Finalement, devant une foule en délire qui apprécie de voir David (Siffert avec une machine inscrite par un team privé, anglais de surcroît) dévorer Goliath (la Scuderia Ferrari), notre compatriote s’impose avec 4,4 secondes d’avance. En réalisant le meilleur tour, pour faire bonne mesure ! Ce sera la toute dernière victoire d’une écurie privée dans l’histoire du championnat du monde des conducteurs mais la première d’un pilote suisse ! Une consécration qui ne doit rien au hasard, compte tenu de son talent, de sa combativité et de sa persévérance qu’il démontrait en milieu de peloton depuis déjà six saisons dans la discipline reine. En fait, il ne lui manquait que le matériel adéquat pour enfin concrétiser et achever le travail en ce samedi 20 juillet 1968 ; pour ce qui restera à jamais comme étant l’un des plus grands exploits signés par un Suisse en sport automobile.